vendredi 5 mai 2017

Pourquoi et comment je me suis auto-édité




      Le guide (pour auteurs) l’AUDACE répertorie et présente de façon détaillée 677 éditeurs de romans, 521 de poésie, 469 de contes et nouvelles, 223 de théâtre, 671 d’essais littéraires ou de sciences humaines, 251 d’histoire, 375 de jeunesse, 94 de religion, 233 de biographies ou mémoires, 109 de bandes dessinées. Et pourtant, j’ai choisi l’auto-édition ! À vrai dire, je n’y suis pas venu directement. Il y a eu un échec en 2012 sur un tout autre projet, après des mois et des mois d’un démarchage épuisant sur le plan psychologique. A quoi il convient d'ajouter tout ce que j’ai pu lire sur l’édition, notamment dans cette revue qui est remise à jour tous les cinq ou sept ans à ce que j’ai cru comprendre.
     Trois (au moins) barrières redoutables se présentent à l’auteur qui n’a pas encore été publié et qui se tourne vers les maisons d’édition. La première est le nombre très considérable de manuscrits qu’elles reçoivent. On ne peut raisonnablement pas leur reprocher de ne pas les éplucher tous de façon consciencieuse, et il faut même se résigner au risque votre envoi ne soit pas ouvert, et directement envoyé au pilon. Après tout, l’éditeur ne vous a rien demandé. La seconde est la politique des « auteurs maison », qui sont chez certains éditeurs systématiquement privilégiés par rapport aux petits nouveaux qui toquent pourtant à la porte avec le manuscrit du siècle. La troisième est celle qui consiste à faire passer devant tous ceux qui font la queue les notoriétés – journalistes, people et autres. C’est contestable, c’est très agaçant, mais on a parfois de bonnes surprises, c’est dur d’en convenir et pourtant c’est comme ça, il y a aussi du talent chez eux. La quatrième (j’avais dit trois au moins) est la mystérieuse ligne éditoriale, qui motive bien souvent les refus, quand on a la chance d’en recevoir. Bien sûr, mieux vaut éviter d’expédier un roman de montagne à un éditeur spécialisé dans les polars gore, mais parfois c’est beaucoup plus subtil que ça, si subtil que les sites des éditeurs recommandent la lecture de leur production pour bien comprendre… à vos cartes bancaires ! Résumé : les maisons d’édition sont devenues des entreprises d’aujourd’hui, et ont très bien intégré deux fondamentaux de l’économie capitaliste : le premier est que l'on ne réalise pas de bénéfices sans prise de risque, le second est de faire reposer ce risque sur les épaules d'autrui. En clair, à vous de jouer : si votre bouquin fonctionne du feu de dieu, les éditeurs ne manqueront pas de voler à son secours…
     Peu disposé à envoyer à prix d’or (un envoi coûte en moyenne 15 € pour un livre de 250 pages) des manuscrits par vagues de 7 tous les trois mois pendant deux ans (hé oui on dépasse les 1000 €) ; n’étant l’auteur d’aucune maison d’édition, n'ayant qu'une notoriété d’un rayon de deux kilomètres et demi, et enfin, ne disposant pour tout « piston » qu’une voisine amie avec une libraire dont le patron connaît un commercial de chez Gallimard, je me suis donc naturellement orienté vers l’autoédition.
     Enfin, pas tout de suite, mais presque. J’ai quand même expédié la version bêta de La dernière voie de Nimbus à un éditeur, un seul. Pendant que je peaufinais la version finale, j’ai pris le temps, trois semaines après mon envoi, de demander par mail si le manuscrit était bien arrivé, et je n’ai eu aucune réponse. Et j’ai pris ma décision : auto-édition. Non : un petit flottement avant. Car comme un front, une marée, étaient apparues sur l’écran de mon PC une infinité de propositions de maisons d’édition qui ne demandaient qu’à me publier : Vérone, Baudelaire, Edilivre et tutti quanti. Oui, et sans aucuns frais assurent-elles, sinon l’aide à l’écriture, la correction orthographique, la mise en page, la réalisation de la couverture, la finalisation, l’écriture du résumé, les packs de distribution, la promotion et les commentaires laudatifs sur le site de la FNAC qui sont payants, une bagatelle, quelques milliers d’euros pour celui qui prend tout, mais quand on veut se faire publier on ne compte pas ! Et j’ai eu une valse-hésitation : pourquoi pas cette solution, plutôt que le risque de l’autoédition ? Et je me suis répondu, après de longs entretiens avec des amis : parce qu’auto-édité tu es propriétaire des droits d’exploitation, tu restes maître à bord.
   Il a fallu choisir l’imprimeur, venus tout aussi spontanément se présenter : BoD, Bookelis, Publishroom, Lulu, pendant que je regardais un reportage sur YouTube, à gauche de l’écran, en haut, parfois devant, comme le sparadrap du capitaine Haddock, réapparaissant ici dès que chassés de là. Mauvais commentaires Internet sur BoD, mauvaise expérience d’une connaissance sur Publishroom, le site Lulu tantôt en anglais, tantôt en français : j’ai choisi Bookelis, et aujourd’hui, à cette heure (20 : 18), j’en suis très content. Et pourtant !!!
    Et pourtant, bon sang, qu’est-ce que j’en ai bavé ! J’aurais dû me méfier de leur site Internet : il est beaucoup trop bien, bourré d’excellents conseils, riche en avertissements, le meilleur, le plus complet que j’ai vu, et de loin. Ce que je n’ai pas compris en le découvrant, c’est que tout allait se faire par Internet. Il y a bien un service téléphonique et les gens sont très disponibles pour donner des explications, mais tout, absolument tout, doit passer par la maudite invention d’Alan Turing, j’ai cité l’ordinateur ! La moindre virgule à changer de place, le profil ICC du papier (là, je suis sûr que je vous en bouche un coin, bande d’amateurs) et le Grand Zebu qui vous permettra de convertir le code EAN 13 (Ah Ah ! Non, je n’ai rien pris ce soir). Pas question de discuter autour d’un café en comparant différentes épreuves de la couverture avec l’imprimeur dont le petit dernier a 20 de moyenne en maths et court le 100 m en 11 secondes. En lisant le site, quand même, je perds vite l’envie de rigoler de l’aide à l’écriture, de la correction orthographique, de la mise en page et la réalisation de la couverture, de la finalisation, de l’écriture du résumé, des packs de distribution, de la promotion et des commentaires laudatifs sur le site de la FNAC. Ce n’est pas ce que je croyais. Éditeur, c’est un métier ; vendre ce qu’on publie aussi. L’autoédition a mauvaise presse. Ça sent l’auteur refusé, le manuscrit médiocre, le travail bâclé avec les cédilles qui manquent, les œufs qui ne sont pas dans l’eau et une intrigue mal fagotée dont les rebondissements couinent comme un vieux sommier d'hôtel de passe. C’est parfois injuste, mais malheureusement c’est souvent ça, il faut le reconnaître – regardez les livres des autres par exemple. Je suis ce conseil : dans la librairie de Bookelis, je consulte des ouvrages qui ont été publiés vraisemblablement sans passer par ces services, et ça me fait bigrement réfléchir : ce que je découvre chez certains d’entre eux, est-ce que ce n’est pas mon livre demain ? Mais je n’ai qu’un tout petit budget, pas question de mettre l’héritage de mes enfants dans cette aventure, ils brûleraient mes invendus à ma mort.
    Brain-trust. L’aide à l’écriture et les conseils littéraires, je prends le risque de m’en passer : un livre écrit avec autant de cœur que le mien ne peut pas être plus mauvais que le second, le troisième et le quatrième de ***** (censure déontologique) pourtant publiés chez Grasset. Pour l’orthographe, je m’en remets aux correcteurs de Word et d’Antidote (très bien fait, je recommande) et à l’aide en ligne du Projet Voltaire (ne surtout pas confondre avec le réseau Voltaire) : 

Pour savoir si « tout » prend un « E. » devant un adjectif féminin commençant par « h », il faut déterminer si le « h » est aspiré. Un « h » est dit aspiré quand il ne supporte ni liaison ni élision : on ne dit pas « l’honte » mais « la honte ». Ensuite, il faut appliquer la règle suivante : « tout » placé devant un adjectif féminin commençant par un « h » aspiré prend un « E. ». Sinon, il reste invariable. Elle est toute honteuse, mais :  Elle se sent tout humiliée.

(Hum. Quelle ligne éditoriale pour le projet Voltaire ?) Quant à la mise en page, m’assure avec optimisme une amie, elle fait partie des difficultés dont tu viendras à bout par toi-même. Voilà déjà 1800 € d’économisés ! Pour la réalisation de la couverture, j’ai quand même recours à une graphiste, nantaise — la proximité permet d’échanger, d’affiner le projet et de prendre un ballon de Gigondas. Pour la diffusion, je vais recourir aux packs proposés par Bookelis qui sont vraiment intéressants. Quant à la stratégie de communication complète, aux commentaires à 145 € sur Fnac.com et à l’interview filmée, j’y renonce, je me bagarrerai par mes propres moyens : hop ! 1650 € d’économisés. Enfin je suis bien incapable de créer un site Internet, mais un blog, ça devrait être à ma portée.
   Et moi, moi qui ne me suis jamais servi d’un ordinateur que pour écrire un roman, expédier des mails ou programmer la décomposition d’un signal périodique en série de Fourier, je regarde avec défi mon PC droit dans sa webcam et lui déclare : c’est parti !
   Je vous fais grâce du domptage de logiciels (paintnet et blogger) aux redimensionnements ésotériques, du délicat maniement des styles sur Word. Le 15 mars, tout est prêt, il n’y a plus qu’à lancer le projet dans les tuyaux de bookelis, pour une publication à la mi-avril : une semaine pour recevoir une épreuve et la valider, deux semaines pour le référencement sur les sites de distribution et l’impression de la première commande, plus les inévitables retards égale un mois. Si vous vous apprêtez à suivre ma trace, sachez-le, ce calcul est irrémédiablement faux, et encordez-vous, car vous allez tomber de haut ! Rien ne va se passer comme ça, et vous allez le découvrir en cheminant dans les 5 épisodes qui ouvrent à la publication de votre chef d’œuvre : vous découvrez les problèmes au fur et à mesure que vous en franchissez les étapes. Je passe sur les problèmes strictement techniques et les trois semaines de délai de rigueur imposées par l’administration avant de délivrer l’indispensable numéro ISBN pour le ebook. Je passe également sur les questions formulées dans une langue dont je comprends tous les mots, mais pas la logique et auxquelles je réponds la peur au ventre, car je n’ai pas trouvé le moyen de revenir sur un choix une fois passé à l’étape suivante : je suis (verbe suivre, merci) une voie à sens unique. Heureusement, il y a le téléphone. J’appelle ? Encore une fois ? Non. Si. L’employée chargée du service avant-vente doit certainement pratiquer le Taï Chi, être abonnée à Psychologie Magazine et avoir remplacé le café par du yoga tea, car elle ne se départit jamais de son calme et sait garder le sourire (c’est mon septième sens, je ne regarde jamais dans le trou du micro, je n’ai pas été élevé comme ça). La principale difficulté aura été la fixation du prix public du livre. Bookelis, pourtant très disert sur tous les sujets, se contente ici de conseiller de majorer le prix de production de 2 ou 3 €. Je fais mes petits calculs : ça ne laisse aucune marge aux libraires, ce n’est pas possible. Que prennent les intermédiaires qui se chargent de la diffusion comme Hachette ? J’essaie de me renseigner, c’est le seul domaine où les conseillers de Bookelis refuseront de me donner une réponse claire, ou plutôt ils me répondront que je n’ai pas besoin de ce renseignement. Ah bon. Sur Internet, je n’en saurais pas davantage, on est bien en France, l’argent reste un sujet tabou. Je vais discuter avec les libraires de Nantes, et me fais ma religion : si je veux que mon livre soit sur les rayons de telle sorte que le libraire gagne correctement sa vie, il faut au moins le vendre 12 €. C’est plus que ce que je souhaitais. Je regarde dans la librairie de Bookelis, et je constate par a + b que d’autres que moi ont certainement fait leurs petits calculs et majoré les prix conseillés. Mes royalties seront congrues aux ventes sur Internet, voilà tout, mais rappelez-vous que la librairie indépendante doit vivre, et que ça, ça n’a pas de prix !
   Il me faut donc quinze jours pour franchir les 5 étapes, et le 3 avril, c’est bouclé, envoi ! J’attends fébrilement l’impression de la première épreuve : désastre ! Il manque les numéros de pages ! Pour une raison qui n’appartient qu’aux dieux des logiciels, PDF les a oubliés (à moins que j’aie mal manœuvré, mmmmhhh, ça doit être plutôt ça, j’en conviens). Rebelote, des petits problèmes, encore quinze jours de perdus, mais je découvre des professionnels à mon écoute, soucieux de me satisfaire, et très réglo sur les prix affichés. Quelle joie de recevoir la bonne version ! Allez, je passe commande de 200 exemplaires et je valide. Ça ne paraît pas beaucoup emballer Bookelis, qui reste de marbre et ne me propose nullement le passage à la caisse. Comment ? semble-t-il insinuer : comment ? Tout ça pour ça ? Ben, dans un premier temps… et puis il est indiqué que la commande minimale est de 1 livre, alors… Je reclique : le panier double de volume, et pas moyen de revenir en arrière. Ah, en cliquant là peut-être ? Non, en cliquant là le panier passe à 600 livres. Les cheveux collés par la sueur – syndrome du terrible sens unique — je bataille une demi-heure avant de constater que tout a été remis à zéro sans que je ne m’en aperçoive, et que je trouve le moyen de payer. Aucune importance, vive Bookelis, la commande part pour une parution autour du 20 mai !
    Après, il restera le plus dur : faire connaître de La dernière voie Nimbus. Et ça, ce sera encore une autre histoire…

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