Après une semaine de démarchage, voici
venu le moment d’aller passer une nuit seul au refuge Packe. Un site perdu en
pleine montagne, d’où la vue embrasse le Vignemale, le Cirque de Gavarnie du
Taillon jusqu’au Mont Perdu, ainsi que l’austère Pic Long et ses satellites. Après
mon ascension du Turon, les conditions semblent réunies : la montagne s’est
vidée de ses randonneurs.
J’ai grand besoin d’un moment de paix, de
revenir sur tout ce qui m’agite depuis la parution de La dernière voie de Nimbus, sur toutes ces riches rencontres que
m’a occasionné ce voyage à travers les vallées en passant par quelques refuges
et un sommet. Voilà mon livre sur les étals des librairies. Et après ?
C’est Régis, le gardien du refuge du Portillon qui le premier m’a posé la
question : quels projets ? Philippe, mon lecteur croisé au refuge de
la Glère est revenu quelques jours plus tard à la charge. Et pourquoi
écrirais-je autre chose après tout ? Certains auteurs ne commettent qu’un
livre, d’autres à l’infini le même - sous des oripeaux différents. Peu
parviennent à être réellement prolifiques sans que le talent ne se démente
d’une œuvre à l’autre. Pourtant, je sais que je prendrai le risque de continuer
à écrire. J’aime travailler la langue, qu’elle se fasse précise, partager par
son truchement convictions, sentiments et émerveillements - émerveillements
surtout, donner à voir la beauté du monde et de l’homme.
Pourquoi cette bataille pour faire
connaître au plus grand nombre ce roman ? Je ne prétends pas échapper aux
forces de l’ego et au besoin de reconnaissance, même si je rêverais de jeter ce
roman dans la montagne comme une bouteille à la mer, anonyme et mystérieux. J'en recueillerais la rumeur, pour peu qu’elle se forme et
vienne battre jusqu’à moi comme une houle ou un clapot, et cela me
suffirait amplement : je saurais bien me garder d’en dévoiler l’auteur.
Mais il y a d’autres raisons : La
dernière voie de Nimbus est à sa façon un livre engagé.
Dans
un des Offices de Tourisme où je suis passé laisser des flyers et des affiches,
une jeune réceptionniste m’a fait observer que les présentoirs étaient réservés
aux partenaires : hôteliers,
centres d’attractions, musées, etc…D’un ton plus vif que je ne l’aurais voulu -
eût égard à son âge, je lui ai vertement répliqué que mon roman était partenaire des Pyrénées, et qu’il
méritait une place bien en vue dans son Office.
Il se publie trop peu de livres ayant pour
cadre la nature, au moins en France. Et la haute montagne est de moins en moins
fréquentée, les gardiens de refuge comme les guides en attestent. La dernière voie de Nimbus va
complètement à l’opposé de cette tendance, et proclame haut et fort qu’il y a
des espaces naturels magnifiques dans notre pays. Montrer cette nature, la
faire aimer, c’est la défendre contre les prédateurs de l’or blanc et les
promoteurs d’axes routiers improbables. Rappeler que cette nature est gratuite,
donnée à chacun selon ses moyens, qu’il y a des espaces de liberté où il est
encore permis de jouer quelque chose de soi, d’exister ; c’est démontrer qu’il y
a d’autres chemins que les Center Park et leurs cousins qui se développent dans
la plaine et même dans les vallées ; c’est donner à voir une vie plus
authentique que les attractions marchandes sécurisées et infantilisantes.
Promouvoir les valeurs que la montagne dispense : le goût de l’effort, la
solidarité, la responsabilité, la mesure de soi, le respect de la nature ;
éveiller à la beauté gratuite du monde ; c’est permettre à chacun de
s’éveiller à soi-même et de se verticaliser dans un monde de moins en moins
spirituel. Mes personnages principaux, Vanille et Cirrus, portent tous deux des
valeurs fortes : la droiture, la capacité à s’indigner et celle de revenir
sur ses erreurs ; et cette faculté de s’émerveiller qui est pour moi à la
racine de la curiosité intellectuelle et du respect pour autrui comme pour la
nature. Tout ce qui est en train de se
perdre dans une société de plus en plus vénale et horizontalisée par la
recherche du profit à court terme.